Narcisse Quellien, barde du Trégor : une plume née à La Roche-Derrien

On l’appelait « l’un des derniers bardes ». Poète et ethnographe de la 2ᵉ moitié du XIXᵉ siècle, Narcisse Quellien a chanté sa terre et porté la Bretagne jusqu’aux salons parisiens. Son histoire commence à La Roche-Derrien, dans le quartier de Penn ar Pont.

De La Roche-Derrien à Paris : le parcours d’un barde

Né en 1848 dans un foyer modeste (père cordonnier, mère tricoteuse), il est repéré au Petit Séminaire de Tréguier et obtient une bourse. À la mort de son protecteur, tout semble s’arrêter, mais une rencontre avec un mendiant – qu’il évoquera dans sa nouvelle Mona – lui redonne courage. Il reprend ses études et « monte » à Paris.

Dans la capitale, il enseigne dans le privé et fréquente les cafés littéraires. Il y croise Paul Bourget, Ferdinand Brunetière, Jean Richepin… et surtout Ernest Renan. Celui-ci, originaire comme lui du Trégor, lui ouvre les portes du Ministère des Affaires étrangères et lui confie une mission de collectage de chants et danses bretonnes. La carrière de Quellien prend son envol.

Sa vie s’achève brutalement le 16 mars 1902, renversé par une automobile conduite par Agamemnon Schliemann, fils du découvreur de Troie. Il avait 53 ans.

Œuvres marquantes : la Bretagne mise en mots

  • Annaïk (1880, préfacé par Renan) – recueil poétique récompensé par l’Académie française ;
  • Loin de Bretagne & Bretons de Paris (1886–1893) – nouvelles sur l’exil et la mémoire ;
  • La Bretagne armoricaine (1890) – synthèse historique, discutée mais pionnière ;
  • Perrinaïc, une compagne de Jeanne d’Arc (1891) – gwerz patriotique ;
  • Renan (1892) – biographie ;
  • L’argot des Nomades de Basse-Bretagne (1886) et Le tunodo (1885) – étude ethnographique des chiffonniers et couvreurs de La Roche-Derrien ;
  • Chansons et danses des Bretons (1889, Prix Montyon) ;
  • Breiz (1898, Prix Montyon) ;
  • Contes et Nouvelles du pays de Tréguier (1898).

Ses poèmes usent des rythmes impairs (13 et 7 syllabes) et d’une « mélancolie soulevée au moindre effort », selon Charles Le Goffic. Renan dira de lui qu’il était le seul homme de son temps capable de « créer des mythes ».

Renan, les Dîners Celtiques et le Parnasse breton

Quellien ne fut pas seulement un poète : il fut un organisateur et un passeur. Avec Renan, Sébillot et Henri Gaidoz, il fonde les Dîners Celtiques en 1879. Ces banquets mensuels réunissaient Bretons et amis des études celtiques au Café d’Alençon puis à l’Hôtel de la Marine, boulevard du Montparnasse. On y parlait littérature, langues et identité, dans une ambiance à la fois savante et festive.

Renan, qui les présidait, confiera que Quellien lui « prolongea la vie de dix ans » en animant ces soirées pleines de gaité. À l’occasion, des dîners furent délocalisés : en 1884 à Tréguier, en 1885 à Quimper. On y lisait des vers, on portait des toasts, et même des crêpes envoyées par Luzel servaient de clin d’œil au Pardon de Plouaret.

Ces dîners, qualifiés de « messes renaniennes », devinrent un rendez-vous mondain pour le Tout-Paris littéraire. Ils s’éteignent en 1902, à la mort de Quellien, leur secrétaire perpétuel.

La Roche-Derrien, berceau et mémoire

La Roche-Derrien fut son port d’attache et son ultime repos. Conformément à son vœu, son corps repose dans sa ville natale, après un transfert depuis Paris.

La stèle commémorative : du cimetière à la place du Pouliet

En 1912, un monument est inauguré sur sa tombe, réalisé par les sculpteurs Paul Le Goff et Yves Hernot. L’inauguration attire une foule considérable, marquée par les discours d’Anatole Le Braz, Charles Le Goffic, Jaffrennou-Taldir, et la récitation en vers de Théodore Botrel.

À la fin du XXᵉ siècle, la stèle est déplacée du cimetière vers la place du Pouliet, en plein cœur de La Roche-Derrien. Visible de tous, elle rappelle aujourd’hui encore la figure du « barde du Trégor ».

Une Bretagne de voix et de visages

Lire Quellien, c’est écouter « les pauvres gens du commun chanter de leur voix dolente ». Ses vers donnent une dignité nouvelle aux marchés, aux pardons, aux landes et aux ports. Il a su capter l’âme du Trégor : humilité et fierté, mémoire et modernité mêlées.

Ses distinctions littéraires (Prix Montyon 1889 et 1898, Prix Xavier-Marmier 1899) témoignent de la reconnaissance de son époque, tandis que les rééditions contemporaines maintiennent son œuvre vivante.

Pour aller plus loin

  • À La Roche-Derrien : saluer la stèle sur la place du Pouliet ;
  • À Tréguier : se souvenir du Petit Séminaire qui changea son destin ;
  • En lecture : Annaïk, Breiz, Chansons et danses des Bretons, Contes et Nouvelles du pays de Tréguier ;
  • En écho : assister à un pardon, flâner un jour de marché, sentir l’écho des voix qu’il a su mettre en poésie.

Sources principales : PDF biographique « Narcisse Quellien, un des derniers bardes », Claudine Gauthier (Encyclopédie Bérose) sur les Dîners celtiques, Wikipédia, et archives municipales de La Roche-Derrien.

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